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Saignée sans précédent dans les journaux et les imprimeries de Tamedia

Employés de Tamedia manifestant devant la tour Edipresse, à Lausanne.
© Thierry Porchet

Cette nouvelle restructuration massive de Tamedia suit de moins d'un an celle qui avait eu lieu l'automne dernier et déjà causé la suppression de dizaines de postes dans la presse suisse (photo: novembre 2023).

L’éditeur zurichois, qui possède notamment en Suisse romande «24 Heures», la «Tribune de Genève» et le «Matin Dimanche», annonce la suppression de 290 postes dans tout le pays, et la fermeture de ses imprimeries de Bussigny et Zurich.

C’est un véritable tsunami dans le monde de la presse suisse! Tamedia, qui édite notamment les quotidiens 24 heures, la Tribune de Genève et 20 minutes en Suisse romande, ainsi que Le Matin Dimanche, Bilan et Femina, a annoncé le 27 août que 290 postes allaient être biffés dans tout le pays d’ici à fin octobre. L’éditeur zurichois va fermer ses imprimeries de Bussigny et de Zurich (la première en mars 2025 et la seconde fin 2026), ce qui supprimera 200 postes en équivalent plein-temps. Par ailleurs, 90 postes passeront à la trappe dans les rédactions alémaniques et romandes. On devrait savoir mi-septembre comment les licenciements seront répartis de part et d’autre de la Sarine, mais à Lausanne, et surtout à Genève, on craint d’en payer le prix fort. Certains titres, comme la Tribune de Genève, et le Bund à Berne, pourraient même disparaître à terme du paysage médiatique.

Cette restructuration, qui s’assume «radicale», selon les termes de la nouvelle CEO de Tamedia, Jessica Peppel-Schulz, suit celle qui avait eu lieu l’automne dernier et s’était déjà soldée par 80 suppressions de postes, dont 28 en Suisse romande. A cela s’étaient ajoutés par la suite 48 postes chez 20 minutes et 20 Minuten, titres dépendant d’une filiale sœur de Tamedia au sein de la holding TX Group. Les rédactions et entités romandes de Tamedia ont déploré dans un communiqué commun la «spirale mortifère» qui «supprime et fragilise d’ores et déjà certains titres», notant que les 90 postes supprimés correspondent à 15% des effectifs des rédactions.

La Tribune de Genève en sursis

La direction de l’éditeur veut se concentrer sur les canaux numériques, et mise pour cela sur quatre «marques»: le Tages-Anzeiger, la Berner Zeitung, la Basler Zeitung et 24 heures. La version en ligne de la Tribune de Genève est destinée à ne devenir plus qu’un simple onglet sur le site de 24 heures. Les collaboratrices et collaborateurs romands dénoncent cette «insulte à Genève»: «Quel mépris pour la deuxième ville de Suisse!» Pour le personnel de la Julie, le message est clair: «Tamedia veut tuer la Tribune de Genève», alors que «le nombre d'abonnés numériques est en constante progression et que le lectorat de la version papier se maintient malgré l'absence totale d'investissements».

Le «portefeuille print est conservé», assure Tamedia, mais la fermeture de deux imprimeries sur trois – seule celle de Berne, qui sera agrandie, étant préservée – donne à penser que les quotidiens sur papier n’ont plus beaucoup d’avenir. L’incertitude plane également sur le sort du Matin Dimanche et de Femina, classés dans la catégorie des «marques en transition».

Solidarité avec les imprimeurs

Déplorant la perte de proximité avec le lectorat sur laquelle débouchera cette restructuration – également du fait de la présence accrue, dans les médias romands, d’article traduits de l’allemand avec l’aide de l’intelligence artificielle – les rédactions s’interrogent sur l’exigence «intenable» de quadrupler la marge de rentabilité des titres, «qui ne fera qu’entretenir la spirale infernale des coupes d’effectifs et de réduction de l’offre journalistique».

Les rédactions se disent par ailleurs solidaires avec les imprimeurs, «garants d'une presse de qualité», et relèvent que la concentration des activités sur le seul site de Berne resserrera les délais d'impression des journaux d'actualité, les empêchant de couvrir les sports ou les débats politiques tardifs dans leur version papier.  A Bussigny, où 72 postes seraient concernés, on fustige l’attitude de la direction, qui semble vouloir précipiter le processus: «Tamedia s’assoit sur le code des obligations, s’offusque Joëlle Racine, secrétaire syndicale en charge de l’industrie graphique chez Syndicom, qui représente les employés de l’imprimerie. Avant de parler du plan social, le personnel doit être consulté pour pouvoir proposer des solutions alternatives à la fermeture du site et aux licenciements. Mais le délai de deux semaines fixé par la direction pour cela est beaucoup trop court, d’autant qu’elle ne nous fournit pas toutes les informations et données nécessaires.»

La syndicaliste accuse le groupe zurichois de vouloir forcer la main à la commission du personnel: «On a essayé, sans succès, de les obliger à signer le plan social de 2022, mais celui-ci avait été conçu pour une restructuration et pas pour une fermeture de l’imprimerie. Ce n’est pas pareil. Les imprimeurs ont des qualifications très spécifiques et auront de la peine à se reconvertir. Certains de ceux qui avaient été licenciés en 2022 n’ont toujours pas retrouvé de travail.»

Réactions outrées

Cette annonce a suscité de nombreuses réactions outrées émanant du monde syndical, de collectivités publiques et de partis politiques. Le syndicat Impressum juge cette restructuration catastrophique et démesurée, et sa mise en œuvre précipitée. Pointant une stratégie d’entreprise «autodestructrice», il s’oppose à toute suppression d’emplois et exige un gel des licenciements sur plusieurs années. Syndicom rappelle pour sa part que TX Group, dont fait partie Tamedia, reste très rentable puisque ses actionnaires ont empoché, en quinze ans, plus de 670 millions de dividendes sur 2,2 milliards de bénéfices. «Une fois de plus, Tamedia se concentre sur la maximisation des profits au lieu d’assumer sa responsabilité sociale et d’investir dans le journalisme.» Le Syndicat suisse des médias (SSM) s’est aussi dit «profondément préoccupé».

Les Conseils d'Etat vaudois et genevois ont exprimé leur «consternation» et condamné ces décisions prises sans concertation, dont ils n'ont eu connaissance que le jour-même, malgré leurs contacts réguliers avec les dirigeants de Tamedia. Ils ont sollicité une rencontre avec ces derniers pour parler de la situation, et s’assurer du respect des dispositions légales en cas de licenciements collectifs.

Les autorités des deux cantons regrettent l'affaiblissement de la couverture de l'actualité en Suisse romande et la perte de nombreux emplois, des inquiétudes que partage la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale. «Tamedia gère la presse comme un bien de consommation ordinaire», a lancé la présidente du gouvernement genevois, Nathalie Fontanet, sur la RTS.

Au Grand Conseil genevois, deux résolutions émanant de la gauche et du Centre ont été adoptées, demandant au Conseil d’État d’intervenir auprès de Tamedia pour le maintien des emplois et pour des mesures d’accompagnement appropriées, évoquant même l’idée d’une cession de la Tribune de Genève à un repreneur. Les exécutifs des villes de Lausanne, Genève et Bussigny ont également manifesté leur indignation dans un communiqué commun, ajoutant qu’ils peinent à croire au «mantra de l’entreprise essayant de faire croire, coupe après coupe, pouvoir faire mieux avec moins».


«Une journée noire pour la presse suisse»

Dans les rédactions, cette annonce est vécue comme un coup de massue. «C’est une journée noire pour la presse suisse, et romande en particulier», lâche Erwan Le Bec, président de la Société des collaborateurs de 24 Heures. «Il n’y a aucune sensibilité de la part de la CEO de Tamedia, l’Allemande Jessica Peppel-Schulz, pour ce qui fait l’ADN des journaux suisses. Pour elle, ce ne sont que des marques. Nous sommes traités avec un mépris et un dédain total. Nous allons nous battre de toutes nos forces contre cette restructuration. Pour faire face aux difficultés économiques que connaissent les médias, il faudrait revenir à une information de proximité et de qualité, sourcée, vérifiée. Mais on fait tout le contraire.»

Pour Rocco Zaccheo, président de la Société des rédacteurs et du personnel de la Tribune de Genève, cette annonce est un «acte de mort clinique». «La stratégie est claire: pour Tamedia, il y a un journal de trop en Suisse romande, la Julie. Mais les lecteurs de la Tribune de Genève ne voudront jamais s’abonner au site de 24 Heures, où l’actualité genevoise sera réduite à un onglet. C’est d’autant plus incompréhensible que nous avons une forte croissance digitale et davantage d’abonnés numériques que le site de 24 Heures.» 

«On biffe Genève de la carte», s’offusque une collaboratrice genevoise. «Tamedia est allé recruter une coupeuse de tête en Allemagne, qui s’est semble-t-il fait une spécialité de restructurer des entreprises. Du coup, les centres de décision sont de plus en plus éloignés et déconnectés de la réalité et des particularités de la presse romande.»

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